La Complainte de Faust
Chapitre 2 : l’activation du système DEVA
Ce que je vais vous raconter va vous sembler dingue, je sais, moi aussi, j’ai vécu très peu de choses aussi … bizarres. Enfin, l’important, c’est d’être sorti vivant de cette dimension, et j’en garde un très mauvais souvenir, celui de la première fois où la Grande Faucheuse m’a planté son couteau dans le dos.
Je continuais donc à toucher mes osselets, que j’avais remis dans leur bourse. Nous étions remontés sur le trottoir et nous rejoignions notre place de stationnement quand nous avons vu un attroupement en contre-bas, autour d’un pêcheur : cinq-six personnes, la main en visière, le nez en l’air. On s’est approché et on a fait comme eux. Effectivement, ils avaient repéré quelque chose de pas très normal : une espèce de fumée rouge tournait autour du soleil, comme s’il était en train de cramer à la manière d’un bout de papier. J’ai resserré ma main autour des osselets, toujours aussi chauds, et pas à cause du contact de ma paume. J’ai fait signe aux autres de me suivre. En leur montrant mon focus, je leur ai dit que si ces osselets étaient aussi chauds, c’était parce qu’une très puissance magye était en train de s’imposer au Paradigme ambiant.
A peine avais-je dit cela, que nous avons entendu des cris de panique venant du groupe du pêcheur ! Nous avons alors tourné le regard vers le ciel : il était rouge vif, alors que nous étions à peine en début d’après-midi. Le disque solaire se couvrait de taches noires… Je me suis retourné et j’ai découvert que tout le monde dans la rue s’était arrêté, les gens sortaient de leurs voitures et regardaient ce qui se passait. Des scènes d’hystérie commençaient à se produire, du genre des femmes qui hurlent parce que la maîtresse de l’école maternelle ne veut pas rendre les enfants, des chauffards qui chauffardisent, des vieilles qui tombent à genoux et se mettent à prier, imitées par les clochards du coin…
Dix minutes plus tard, le soleil obscurci TOMBA comme une masse, droit vers l’horizon. Dommage, j’avais pas emporté de lampe de poche. J’aurais aussi dû emmener un thermomètre, car la température de l’air était très élevée pour la saison, malgré la « chute » du soleil. Il faisait un temps de juin… à peu près 25°C. Bref, un temps maudit comme Dieu ne nous l’avait pas fait depuis la mort de son Fils en croix.
Nous étions encore sur les berges, et il nous fallait bien trouver un moyen d’en sortir pour se protéger autant des événements à venir que de l’hystérie générale. On essayait donc de crapahuter à la queue leu leu dans la pénombre pour rejoindre le parking de la fac. Rhiannon fermait la marche, en essayant de faire bonne figure. Nous l’avons soudain entendue hurler : elle avait senti quelque chose lui frôler la cheville, puis tout à coup, une tentacule de chair grise et molle s’éleva au dessus de sa tête avec un geste menaçant. Elle criait encore tandis que la chose avait réussi à envelopper ses hanches avec rapidité. Dans un sursaut de dégoût, elle invoqua un sort qui déracina le lampadaire du trottoir et le jeta sur la tentacule, l’obligeant à relâcher sa prise. Personne ne lui en voulut sur le moment d’avoir fait de la magye vulgaire, mais ça commençait à devenir une habitude chez elle ! Malgré ses efforts, elle aussi disparut sous l’eau. Mais jamais je n’avais vu une nana en sortir aussi vite ! Tout le monde aida à la remettre debout, même si on n’y voyait pas grand chose. Carter, d’autorité, ne lui lâcha plus la main. Lui et moi, on s’attendait à un contre-coup de paradoxe : rien !
Nos aventures étaient loin d’être finies. Les lampadaires s’étaient allumés, rendant le périphérique praticable. Une fourgonnette de gendarmerie est passée à vive allure sur la chaussée avant d’aller se planter littéralement dans un arbre à 20 mètres de nous. Nous avons tous entendu le bruit de la tôle pliée et ensuite celui du verre réduit en miettes. La porte du panier à salade s’est ouverte dans le choc et j’ai écarté prudemment le battant droit en lançant « Hou hou, ça va ? Vous avez besoin d’aide ? » Une main s’est accrochée à la portière puis un homme est sorti de l’habitacle défoncé. Un deuxième, les yeux injectés de sang…A ce moment-là, j’ai vraiment cru à une invasion de zombies… Ils ont commencé à chercher leurs flingues, toujours au ralenti. La pénombre s’épaississait et on a pas attendu qu’ils nous demandent nos papiers pour se casser vite fait. On allait s’esquiver, quand, tenez-vous bien, s’est pointée une famille de corbeaux géants aux serres énormes et aux yeux qui lançaient des éclairs. Le vol a tourné autour de ces abrutis de flics, les becquetant férocement pour en attraper un dans leurs serres, mais les Condés ont compris rapidement qu’il était plus prudent de se mettre à l’abri dans leur panier à salade.
Après avoir passé plusieurs minutes à débattre, s’il valait mieux aller en centre-ville ou savoir ce qu ‘il passait avant de s’y rendre, on a finalement choisi de bouger jusqu’à la Pierre Noire, parce qu’elle est censée être une protection. Arrivés sur la place, nous avons pu constater que le campus était vachement calme étant données les circonstances. Calme et surtout vide. Rhiannon s’est alors arrêtée de marcher, toute pâle, répétant une vingtaine de fois « je ne sens rien, je ne sens rien ! » en chialant. Christophe a commencé à rigoler tout seul. Tout commençait à se détraquer dans nos esprits… On a compris plus tard ce qui s’était passé : alors qu’on arrivait en vue de la Pierre, Marie grâce à son Omniscience, nous a dissociés du canevas local afin de nous protéger. Ce qui expliquait le « calme » autour de nous, comme si nous avions atterri dans une ville fantôme. Et du coup, Rhiannon ne sentait plus rien de vivant autour d’elle… d’où son émoi.