La Source du Dragon

Kreatür!

Jan chuchote à ses compagnons que la personne à l’intérieur de la pièce est probablement seule, et qu’elle se trouve assez loin de la porte ; toutefois, si cet homme semble bien mener une conversation, le mercenaire ne parvient pas à déterminer avec qui. Peut-être avec sa malheureuse captive…? Irena allume alors l’une des lanternes que le petit groupe avaient apportées, ne serait-ce que pour être capable de mieux surveiller la grande salle et ses sombres recoins. Jan se prépare à enfoncer la porte, son couteau à la main ; mais lorsqu’il ouvre cette dernière à la volée, prêt à lancer son arme, celle-ci lui échappe des mains sous le coup de la surprise. L’homme se tenant debout à l’intérieur de ce qui apparaît être une cellule improvisée, et qui se tourne lentement vers lui, n’a plus grand-chose d’humain, à part des vêtements plus ou moins similaires à ceux des bandits que nos trois sauveteurs ont rencontrés un peu plus tôt. Son visage est émacié, sa langue pendante, sa peau verte et écailleuse, et la lourde masse qu’il tient à la main est à la mesure de sa haute taille et de sa forte corpulence. Poussant une exclamation de stupeur, l’Akashite parvient tout juste à faire un pas en arrière et à éviter d’être touché par la créature qui déjà se précipite sur lui. Alors que celle-ci lève à nouveau son arme afin de porter une seconde attaque, Irena, dans un réflexe instinctif, lui fracasse sa lanterne sur la nuque, un flot d’huile enflammée se répandant rapidement sur sa chemise.

Cette fois, c’est au tour de la chose – est-ce même une Goule? – de pousser un cri ; elle recule de deux pas, secouant la tête comme pour se débarrasser de ce liquide qui lui brûle les chairs. Profitant de cette opportunité, Jan lui lance alors le dernier des pains de poudre en sa possession, qui explose violemment au moment où il entre en contact avec les flammes. Mais une fois encore, la ‘Goule’, à présent rendue frénétique par la douleur, se jette sur Jan ; ne sachant trop que faire, Irena se saisit de la pelle emmenée dans le cadre de leur expédition et tente de la faire trébucher. La créature chute lourdement aux pieds de Jan, qui, tirant son pistolet, n’a d’autre choix que de lui loger deux balles dans le dos… ce qui hélas ne l’arrête toujours pas : d’un revers de sa large main, la monstruosité écailleuse le frappe à son tour, l’envoyant s’écraser contre le mur le plus proche.

Cette scène de cauchemar, qui semble ne pas avoir de fin, laisse nos trois amis fort marris, et cela d’autant plus qu’en dépit des dommages infligés par le mercenaire, cette chose qui ne peut plus être décemment décrite comme un être humain, semble plus en proie à la colère que sous l’emprise de la douleur ; elle se montre d’une résistance telle que la propre pelle d’Helga se brise en mille morceaux lorsque celle-ci décide de la frapper au niveau des hanches. La Verbena recule alors précipitemment, ses traits étirés dans une grimace d’appréhension, car le monstre qu’elle vient juste d’attaquer se tourne lentement vers elle, comme surpris par son geste. Jan profite de cet instant d’inattention pour frapper sauvagement son adversaire au niveau des reins, d’un coup de pied souple et puissant, presque félin. La créature s’effondre une seconde fois, mais continue néanmoins de ramper vers Helga avec une effrayante détermination. Ce n’est qu’après avoir reçu une balle dans la nuque, à bout portant, que la ‘Goule’ s’immobilise enfin, dans un ultime râle gargouillant…

La prison

La créature ne bougeant plus à présent, les trois Mages, toujours sur leurs gardes, s’emploient à vérifier ce qui se trouve dans la pièce qu’elle gardait. Sur la gauche, près de l’entrée, est creusé un puits profond, en face duquel se trouve une lourde porte de fer. Non loin de cette fosse est accrochée la clé de ce qui apparaît être la cellule de Francesca, qu’Helga s’empresse de saisir afin de déverrouiller ladite porte. La vision qui l’accueille alors est des plus angoissante : sa gouvernante est allongée sur une table en métal, son corps dénudé et inconscient tout juste recouvert d’un drap jaunâtre et portant les traces de multiples morsures et lacérations. Réveillée en douceur par sa maîtresse, la pauvre femme fond aussitôt en larmes, et il n’est hélas pas difficile d’imaginer les multiples sévices qu’elle a dû subir dans cet endroit sordide.

Tandis que la Verbena réconforte Francesca du mieux qu’elle le peut et s’emploie à soigner ses blessures, Jan et Irena achèvent d’examiner la pièce. Le puits est trop profond et ses parois trop lisses pour que le petit groupe puisse le considérer comme une issue digne de ce nom, et il va bien falloir se résoudre à s’échapper autrement de cet endroit maudit. Alors qu’Irena s’apprête à retourner dans la grande salle afin de s’assurer qu’aucun autre garde ne puisse les surprendre, Jan l’arrête soudain d’un geste vif. Sur le sol, devant eux, le corps de la créature qu’ils viennent de tuer semble agité de légers soubressauts, et c’est avec un sifflement bruyant qu’elle revient peu à peu à elle, ses blessures commençant lentement à se résorber. Voyant bien qu’il ne leur reste pas grand-chose d’autre à faire, Jan se saisit d’une pelle et décapite le monstre, ce qu’il réussit à faire après plusieurs tentatives assez… salissantes.

Sous l’action bénéfique des soins que lui apporte sa maîtresse, Francesca regagne peu à peu l’usage de ses sens ainsi qu’un peu de sa raison. Elle révèle alors qu’elle n’était là que pour servir d’appât : c’est bel et bien Helga que veulent ces monstres, et leurs visages à peine illuminés par la froide lueur des lanternes infernales placées tout autour d’eux, les trois Mages en viennent à réaliser que tout ceci ressemble fort à un traquenard. Comprenant que l’escalier par lequel ils sont venus constitue désormais une voie sans issue, Jan et Irena se dirigent vers le bassin situé à l’autre bout de la grande salle cathédrale, avec le mince espoir d’y trouver peut-être quelque chose qui leur permettrait de sortir sans encombres de ce piège souterrain.

Au coeur du temple…

Les marches qui y mènent sont étrangement grandes et espacées. De plus, son architecture est d’inspiration plutôt classique, presque antique, contrastant quelque peu avec l’aspect lisse et presque neuf des colonnes. Ces dernières touchent un gigantesque plafond voûté, et leur sommet semble former comme un immense vortex.

Le bassin en lui-même se révèle être assez large, d’environ quatre mètres de diamètre ; le léger clapotis agitant sa surface indique l’existence d’un courant presque imperceptible, un constat tout à fait frappant étant donné la position de la structure. L’atmosphère qui baigne cet endroit est encore plus oppressante que dans la cellule, et cela à cause des nombreuses lampes entourant cet inquiétant sanctuaire. Elles semblent avoir été placées délibérément afin que le centre du bassin demeure occulté en permanence, à l’abri de leur lumière.

Cherchant de son côté un hypothétique indice qui pourrait les mener vers une autre sortie, Irena finit par découvrir une grande et imposante statue à demi-dissimulée derrière deux colonnes. Elle représente une créature humanoïde ressemblant partiellement à la Goule que les Mages ont combattue peu de temps auparavant, svelte mais musculeuse, vêtue d’une longue toge à la romaine. Son regard est curieusement expressif, son expression pleine d’arrogance ; cette silhouette à la peau constellée de très fines écailles donne l’impression d’être capable de s’animer d’une minute à l’autre. Enfin sa tête elle-même n’est pas vraiment humaine : totalement glabre, chauve et lisse, dépourvue d’oreilles, elle arbore des yeux serpentins aux pupilles fendues et sa bouche aux canines effilées laisse entr’apercevoir une langue fourchue. La statue fait pour ainsi dire partie du mur lui-même, solidement logée dans une alcôve étroite et peu profonde taillée avec beaucoup de soin. S’agirait-il là de la représentation d’un chef spirituel ou d’un grand prêtre…? Le mystère semble s’épaissir.

Le bassin

Jan revient ensuite sur ses pas pour aller chercher une lampe, accompagné d’Irena qui garde un oeil attentif sur la trappe les ayant menés jusque dans ce grand temple souterrain, tous deux à l’affût d’un bruit qui indiquerait l’éventuelle arrivée de poursuivants. Aucun danger ne vient pour le moment troubler la sombre quiétude du temple souterrain ; néanmoins l’Hermétiste a parfois l’impression d’entendre à nouveau ce très léger sifflement, presque une psalmodie à présent. Pendant ce temps, Helga n’est pas en reste, et s’emploie à l’exécution d’un rituel qui lui permettrait de transférer une partie de son énergie vitale à Francesca. Après tout, sans cela, la gouvernante n’aurait plus assez de forces pour les accompagner dans leur fuite. Une fois la malheureuse habillée tant bien que mal avec les restes de l’unique couverture l’ayant couverte jusqu’à présent, les deux femmes rejoignent alors leurs compagnons, à la suite de Jan qui a accroché une lampe au manche de sa pelle afin de pouvoir examiner plus attentivement le contenu du bassin.

Les trois Mages remarquent alors deux choses. En-dessous de la surface de l’eau — qui ne doit pas faire plus de deux mètres de profondeur — apparaissent une vingtaine de formes allongées, à l’apparence indéfinissables. Des objets ou des offrandes, peut-être…? De plus, tout autour du bassin sont gravées de fines lettres, jusqu’à présent occultées par la pénombre et par le léger mouvement du courant. Il s’agit d’un message rédigé en ancien français, une langue dont la présence semble presque déplacée dans un tel endroit : “Je suis le début de l’éternité, la fin de l’espace, la naissance de chaque espèce, la mort de toute race”.

Il devient rapidement indéniable pour L’Akashite qu’une arrivée d’eau donne sur ce bassin, mais il faudrait tout de même descendre dans celui-ci afin de pouvoir s’en assurer…

Piégés ?

Quelque peu indécis quant à ce qu’ils devraient faire, les trois Mages décident d’examiner les  possibilités qui s’offrent à eux. Le fait qu’ils soient encore en vie, alors que l’alerte a depuis longtemps été donnée, indique que quelqu’un désirait très certainement qu’ils arrivent dans cette salle sans périr ; de plus, lorsqu’Irena vérifie l’état de la trappe, celle-ci se révèle avoir été bloquée depuis l’extérieur, leur coupant effectivement toute retraite. La prison de Francesca est devenue leur prison à tous, peut-être afin que les hommes de Fyodor puissent régler tranquillement les problèmes causés à la surface par l’explosion d’une partie du mur du parc et l’incendie qui s’en est suivi. Cet angoissant constat ne prend toute sa dimension qu’au moment où Jan, qui avait confectionné un grappin de fortune afin d’atteindre l’un des objets reposant dans le bassin, ramène du fond des eaux un os — celui d’un bras humain, arraché au niveau de l’épaule…