La Source du Dragon
Ecrits & énigmes
Conscients de l’aspect désespéré de leur situation, les quatre prisonniers poursuivent rapidement leurs recherches dans la grande salle afin de trouver une issue. Avec l’aide de Francesca et plusieurs feuilles de papier emprunté à Irena, Helga décide de recopier les étranges symboles gravés sur les murs du temple, dans l’espoir qu’ils pourront leur être utiles plus tard. Néanmoins, il s’agit là d’une langue que l’Hermétiste n’a jamais étudiée, et sur le moment, elle n’est pas même certaine de pouvoir en déchiffrer ne serait-ce qu’une infime partie. Pendant ce temps, Jan prend finalement son courage à deux mains et saute dans le bassin, presque certain qu’il va être happé par ses eaux saumâtres comme par un monstre vorace. Rien de tel n’arrive, bien entendu ; mais le son des os à demi-pourris craquant brusquement sous son pied n’est pas pour rassurer qui que ce soit autour de lui. Tâtant le fond du bassin avec prudence, le mercenaire finit par découvrir sans trop de surprises que le fond de celui-ci est fait de métal. Irena quant à elle se penche littéralement sur la phrase mystérieuse gravée sur le pourtour du bassin — pourquoi avoir choisi du français, puisque ce temple se trouve à Vienne?
Au bout de quelques minutes, Jan et Irena finissent par revenir vers la statue, dont le style de sculpture n’est pas sans rappeler celui d’un certain Georg Stanis. Après un examen minutieux, l’alcôve s’avère être plus profonde que ce que tous deux pensaient au départ, et habilement dissimulée derrière l’homme-serpent les deux explorateurs découvrent un étroit passage, à peine accessible, ainsi qu’un interstice, peut-être taillée par la main de l’homme. Irena, pourtant la plus mince du groupe, ne parvient à se faufiler qu’avec difficulté derrière la statue, remarquant par là même que cette dernière possède aussi une paire d’ailes repliées dans son dos, ainsi que l’ébauche d’une queue reptilienne. L’impression de malaise qu’elle avait ressentie près de l’échelle revient alors la hanter, et la jeune femme ne tarde pas à avoir la certitude qu’ils ont devant eux un autre noeud entropique. Examinant la fente, Irena y discerne une série de lettres, gravées de haut en bas, et formant un nom qu’elle a elle-même entendu il n’y a pas si longtemps: “Ennea Kephalos“. Entre chaque lettre, un très léger espace de séparation : celles-ci, placées sur de petites plaques de pierre, semblent correspondre en fait à des boutons. La réalisation soudaine s’impose alors aux Mages : le message présent le long du bassin est probablement à prendre au pied de la lettre, et à présent qu’elle se doute de ce qu’elle doit chercher, Irena ne tarde pas à constater que tous les “E” de ce nom grec portent une minuscule encoche verticale, aussi fine qu’un cheveu. Retenant sa respiration, l’Hermétiste presse alors les trois boutons, espérant qu’elle n’a pas commis là une erreur fatale.
Passage secret
Trois cliquetis successifs finissent par retentir dans le silence pesant de la grande salle. La statue s’ébranle quelque peu ; sa bouche s’ouvre dans un crissement sonore, et un lourd anneau apparaît à la vue d’Helga et de Jan. Le dispositif reste en place même après qu’Irena ait relâché les trois boutons et soit revenue vers ses amis, ce qui semble encourageant. Helga tend alors la main afin de saisir l’anneau et de le tirer ; il se détache lentement de la statue, suivi par une pesante chaîne de fer piquetée de rouille. Jan décide de prêter secours à la Verbena, car tirer sur cette dernière se révèle être de plus en plus difficile. Après un court instant de flottement, un nouveau cliquetis, bien plus bruyant, se fait entendre. Des remous agitent l’eau du bassin, puis le sol se met à trembler légèrement. Et une fois encore, l’étrange et inquiétant murmure, “Ennea Kephalos“, se fait entendre dans l’esprit d’Irena. Le contenu du bassin disparaît, aspiré vers le fond de celui-ci, la trappe dissimulée en son sein commençant petit à petit à s’ouvrir. Peu à peu, toutes les lanternes du sanctuaire s’éteignent, tandis qu’une lourde puanteur envahit la pièce. Helga relâche l’anneau au bout de quelques secondes, et là encore, le dispositif demeure en place.
Craignant d’avoir découvert là une fosse à sacrifices plutôt qu’un échappatoire, les trois Mages ont recours à leur propre lanterne afin d’examiner le puits ainsi ouvert. Ils y distinguent finalement les barreaux d’une échelle, solidement fixés à la paroi du puits, et qui leur permettraient de descendre sans trop de difficultés ; néanmoins, l’odeur fétide qui se dégage dudit passage n’augure rien de bon. Sachant néanmoins qu’ils n’ont pas d’autre choix à leur disposition, Irena demande à ce qu’on allume leur deuxième lanterne, et tous les quatre — Jan le premier, Francesca en dernier — contournent comme à regret ce qui reste du bassin pour finalement s’enfoncer dans ses profondeurs méphitiques. Une fois le fond du puits atteint, les pieds de Jan ne tardent pas à rencontrer un ruisseau dont le courant glacé le fait frissonner de dégoût, et c’est avec de l’eau jusqu’aux mollets que le petit groupe s’emploie à explorer cet endroit, avec la pesante impression qu’ils n’ont fait que tomber de Charybde en Scylla.
La fosse aux sacrifices
Le long des murs de la large fosse sont visibles de luisantes plaques de lichen noirs. Au centre de celle-ci se dresse une grande vasque d’environ deux mètres de diamètre, taillée dans de la pierre sombre, et de laquelle partent deux rigoles — un autel, peut-être…? Derrière cette même vasque, les fuyards parviennent à distinguer une étendue d’eau assez conséquente, mais qui ne doit certainement pas être potable ; apparemment, ce curieux lac souterrain viendrait régulièrement, et pour une raison qui leur échappe, déposer son contenu verdâtre là où ils se trouvent à présent. Non loin de là, derrière eux, on peut vaguement distinguer un tunnel qui ressemble fort à un canal d’écoulement. L’architecture de la salle semble ancien, voire même antique ; plus surprenant encore, on ne trouve aux alentours nulle trace des cadavres dont on aurait pu soupçonner la présence au vu de ce que contenait le bassin. Une nouvelle certitude s’impose rapidement aux Mages : il s’agit là d’un Node, mais d’un Node corrompu, dont la Quintessence ne doit surtout pas être utilisée. Peu désireux d’en découvrir vraiment plus sur le lac souterrain et son contenu, le petit groupe se tourne alors en direction de ce qui semble être un canal d’écoulement à l’aspect passablement décrépit ; tout ceci laisse à penser qu’ils se trouvent non loin des égoûts de Vienne, et qu’il existe une possibilité pour que ce tunnel puisse les ramener en ville.
Au bout de quelques secondes cependant, Helga remarque avec horreur que Francesca ne les a pas suivis. Se retournant, les Mages découvrent la gouvernante debout à proximité de la vasque, fixant son contenu d’un air terrorisé, un hurlement muet déformant son visage devenu maintenant livide. Lorsqu’ils la rejoignent, la raison de son dégoût devient rapidement évidente : dans l’eau croupie remplissant la vasque baignent les restes luisant d’organes humains, parmi lesquels on peut reconnaître un coeur et un poumon. Détournant les yeux, ils tirent Francesca de sa contemplation malsaine, juste au moment où un étrange grondement commence à s’élever du lac souterrain. Irena sent alors une terrible prémonition l’envahir : une onde de pure malfaisance se dirige droit sur eux, mue par une rage et une sauvagerie proprement terrifiante. Obéissant à un réflexe purement instinctif, elle saisit Francesca par le poignet et, sans plus attendre, se met à courir en direction du tunnel.
Ennea Kephalos!
Un nouveau grondement rompt le silence, et dans la pénombre derrière eux s’élève depuis les eaux du lac une forme gigantesque, sinueuse, aussi massive que le tronc d’un arbre plusieurs fois centenaire. Le sifflement rageur, assourdissant d’un serpent géant résonne sous la voûte de pierre, et dans un craquement macabre, le muret isolant le lac se brise, déversant son contenu dans toute la salle. Comprenant qu’il va leur falloir courir très vite, Irena et Francesca sautent sur le “trottoir” du tunnel plutôt que de se laisser happer par les eaux qui menacent de les emporter. Jan et Helga mettent un peu plus de temps à réagir, mais se lancent eux aussi en direction de ce qui est de toute évidence leur unique espoir de sortie, et par là même de survie.
Hermétiste et gouvernante parviennent les premières en bas de la pente ; à une trentaine de mètres en contrebas se trouve un carrefour, à peine visible. Juste au-dessus d’eux elle peuvent distinguer une large arche de pierre polie. Irena remarque alors sur sa droite la présence d’une manivelle, et faisant soudain le rapprochement, s’emploie à la tourner aussi vite qu’elle le peut. Son intuition était belle et bien fondée : de la voûte commence à descendre lentement une lourde grille de métal aux épais barreaux. Cependant celle-ci se bloque brutalement au bout de quelques secondes ; fort heureusement, Jan, qui vient de comprendre ce qui est en train de se passer, se précipite vers le second trottoir afin de saisir une autre manivelle qui vient d’apparaître dans un crissement sonore. Bien lui en prend, car un peu plus haut dans le tunnel, cherchant à se saisir d’une Helga qui vient de trébucher et de s’affaler en plein milieu du canal, se dresse à présent l’immense ‘Ennea Kephalos’. La Verbena parvient à se relever juste à temps, mais à présent les crocs luisants du monstre ne sont plus qu’à quelques centimètres d’elle.
Avec l’aide de Francesca, et tout en hurlant à Helga de se hâter, Jan et Irena achèvent d’enclencher le mécanisme de la herse, qui commence à descendre de plus en plus rapidement. Dans une tentative désespérée de repousser la créature, Helga décide de lui lancer sa lanterne afin de le blesser, tout en suppliant un Esprit du Feu de venir à son aide. Alors que la lampe fend l’air, son contenu s’embrase dans une explosion aveuglante, et une véritable langue de flammes vient se répandre sur l’horrible tête reptilienne. La créature se met à frapper violemment les murs afin d’éteindre le feu qui lui dévore les écailles, faisant le tunnel tout entier. Néanmoins cela donne à Helga le temps qui lui manquait pour se précipiter vers la herse, maintenant descendue aux trois-quarts.
Mais à peine la Verbena est-elle arrivée à la hauteur de ses compagnons que celle-ci se bloque à nouveau, laissant tout juste assez de place au serpent pour s’y frayer un chemin de force… Helga prête alors main-forte à Jan afin de débloquer sa manivelle, et dans un craquement sinistre, le mécanisme se brise, laissant les chaînes qui retenaient la herse de dérouler d’un seul coup. Les pointes terminant les lourds barreaux de métal s’enfoncent violemment dans le sol, mais cela ne semble pas arrêter Ennea Kephalos le moins du monde. Les trois Mages et la gouvernante restent pétrifiés durant quelques instants tandis que monstre gigantesque charge rageusement cette barrière de métal, la force du choc faisant voler plusieurs de ses écailles ensanglantées. Pendant quelques instants, un doute atroce saisit les fuyards… Va-t-elle tenir…?
Puis, se libérant de leur stupeur horrifiée, et tandis qu’Ennea Kephalos vient s’écraser encore et encore contre la herse, cherchant désespérément à la briser, tous les quatre se précipitent dans un couloir situé sur leur droite. Ils n’ont aucune idée de l’endroit où celui-ci pourrait les mener, mais cela leur importe peu : leur seule préoccupation est pour le moment de s’éloigner de cette créature de cauchemar, de la perdre dans ces passages trop étroits pour qu’elle puisse les suivre. Ce n’est que lorsqu’ils sont certains de ne plus entendre leur poursuivant que les Mages prennent enfin le temps de faire une courte pause à une seconde intersection, se demandant où ils ont bien pu tomber.