Orpheus Ex Machina

Something wicked this way comes

Arrivés au palais, Jan et Helga descendent de la berline pour aller ouvrir la grille du jardin. A ce moment, un long frisson parcourt l’échine d’Irena, saisie par l’impression étrange qui semble régner dans cette rue, comme si quelque chose avait changé, au niveau de la demeure elle-même. Hélas, sa tentative d’en savoir plus se heurte à une certaine résistance, et elle ne peut définir précisément de quoi il s’agit. Tandis qu’Helga lui demande ce qui ne va pas, Jan, lui, aperçoit soudain un homme en queue-de-pie, portant un masque domino, qui passe devant lui, un index posé sur les lèvres pour lui faire signe de garder le silence; l’inconnu passe ensuite derrière l’un des arbres du jardin pour disparaître dans l’obscurité, et l’Akashite, troublé, décide de ne rien dire pour le moment à son sujet.

Les trois mages remontent à bord du véhicule. A peine ont-ils parcouru une quinzaine de mètres que Jan perçoit une très légère odeur dans l’air, odeur qui se précise rapidement: c’est celle du sang… Il arrête immédiatement l’attelage. L’air autour de lui semble anormal, et il avertit ses compagnes de ce qu’il a senti; Irena réalise alors que cette même odeur relève précisément de la vague d’Entropie qu’elle avait ressentie, tout juste une minute auparavant. Sautant à bas de la berline, tous trois hument l’air. Helga, de par sa condition de Verbena dont la Magye passe souvent par la manipulation du sang, parvient à déterminer de quelle direction vient cette puanteur discrète et pourtant ô combien présente pour des sens aiguisés. Il y a bien quelqu’un, sur le domaine, quelqu’un qui épie le petit groupe. Jan remarque des traces de pas sur le sol, qui ne sont pas les leurs, et viennent du palais pour ensuite quitter le chemin à une petite dizaine de mètres de là. Ces traces mènent vers un bosquet près duquel se trouve l’une des statues sculptées par Jakob. Helga prend résolument la direction de ce bosquet; elle n’a pas fait dix pas que les broussailles s’écartent, et qu’une voix s’élève: “Comment avez-vous su?”

Cette voix n’est nulle autre que celle de Lars, qui s’approchent lentement, son visage à demi dissimulé par un large capuchon. Instinctivement, Jan fait un pas en arrière: quelque chose est différent, quelque chose ne va pas. Alors que Lars déclare, menaçant, “A présent, nous allons pouvoir en finir une bonne fois pour toutes”, l’Akashite passe comme une flèche devant Helga pour se précipiter vers leur adversaire. Ce dernier lève les yeux, puis sa main gauche, et dans un éclair, la lame de son couteau rencontre celle de Jan, laissant voir qu’elle est tachée d’un sang épais… et frais.

Un nouveau degré de haine

Les trois mages croisent enfin le regard de l’homme qui leur fait face, une paire d’yeux maintenant rouge vif, aux pupilles fendues comme celles d’un serpent. Le sourire de Lars est fier, hautain, et laisse apercevoir l’éclat bref et discret de deux canines maintenant proéminentes. Il ne leur faut qu’une fraction de seconde pour comprendre qu’il abu le sang de Fyodor, et qu’il n’est plus lui-même, rendu fou par cette substance empestant la corruption.

Lars, qui veut avant tout en découdre avec Helga, voit son deuxième coup paré par Jan, qui s’interpose à nouveau. L’affrontement apparaît désormais comme inévitable, car l’attitude du vampire nouveau-né ne laisse plus aucun doute quant à d’éventuelles négociations. Sachant qu’elle ne serait d’aucune utilité dans un face-à-face, Irena plonge immédiatement vers l’un des arbres pour faire croire à Lars qu’elle s’enfuit, mais surtout pour s’employer à un Rituel qui, elle l’espère, parviendra à aider ses compagnons. D’un stylet tiré de son manteau, elle commence à graver des runes sur le tronc de l’un des arbres, s’efforçant de ne pas voir qu’un troisième coup, de par sa violence, vient de projeter Jan directement sur Helga. Les deux autres mages s’engagent alors dans un jeu dangereux d’esquives et de contre-attaques entres les arbres et les buissons, l’Akashite cherchant encore et toujours à s’interposer entre la Verbena et le vampire. Malheureusement pour lui, lorsque Lars parvient à le projeter pour ainsi dire à mains nues contre un tronc particulièrement dur, il se démet à moitié l’épaule, et reste sonné durant quelques bonnes secondes.

Combat acharné

Tandis que Jan, étouffant un hurlement, remet son épaule en place, Irena s’élance vers un deuxième arbre, réitérant l’opération effectuée sur le premier. Helga, qui vient d’arracher une branche au hêtre le plus proche, emploie la Magye pour solidifier ce bâton improvisé et intercepter une autre attaque de Lars, qui vient s’empaler sur l’épieu, hélas au niveau de la clavicule, et non du coeur. Cette blessure ne l’arrête pas, et il s’en sert même au contraire pour se rapprocher de Helga afin de lui envoyer un violent coup de pommeau dans la mâchoire; sous le coup, la jeune femme lâche son arme et chute en arrière, peinant à réaliser que son adversaire, jetant son couteau d’un getse vif, est déjà en train d’extirper le pieu de son épaule, centimètre par centimètre. Jan, qui vient de se remettre debout, profite de ce que Lars accorde toute son attention à la Verbena pour se jeter sur lui et le faucher au niveau des genoux d’un coup de pied particulièrement bien placé. Dans le même mouvement, l’Akashite se relève… mais le vampire également, qui avait réussi à utiliser la branche pour retrouver son équilibre.

“Ma mission est de tous vous tuer, et j”ai déjà bien commencé,” annonce Lars avec un sourire mauvais, achevant d’extirper l’épieu de son corps. “J’espère que tu ne tenais pas beaucoup à tes serviteurs, Sombre Reine.” A ces mots, le sang d’Helga ne fait qu’un tour, et elle reprend ses esprits… juste à temps pour réaliser que son arme est sur le point de se retourner contre elle. Avec un sinistre un éclat de rire, Lars contemple cette même branche, à l’extrémité de laquelle une lueur verdâtre commence à danser, dont la couleur se reflète autour de la silhouette du vampire, et rappelle étrangement celle des lanternes murales qui éclairaient le temple souterrain d’Enneakephalos. Dans un réflexe, Helga inverse sa Magye pour ramollir le bâton en en asséchant toute la sève, mais ne fait là que jouer le jeu du Sorcier. Entre les arbres, Irena réprime un tremblement; le tronc sur lequel elle achève de graver une nouvelle rune se fend légèrement, sous la pression du vortex entropique en train de prendre former dans la zone…

Lars brandit l’épieu au-dessus de sa tête; son aura vient envelopper le bois, qui s’embrase. “Si vous n’étiez pas intervenus, Grygor ne nous aurait pas trahis, et je ne serais pas devenu ainsi!” hurle-t-il avec amertume, avant de se jeter sur Jan, plus proche de lui que Helga — Helga qui, saisissant cette opportunité, plonge sur le couteau de Lars laissé au sol, se jette sur le vampire, envahie par la colère. Lars échoue à toucher Jan, et ce dernier, toujours impassible, parvient à lui porter un violent coup à l’abdomen; volant sur un bon mètre, le vampire vient s’empaler sur la lame de Helga, et les trois adversaires viennent s’abattre à la lisière du périmètre qu’Irena, gravant le tronc d’un troisième arbre, est en train d’établir.

Zone d’ombre

Helga recule vivement: un nouveau crépitement s’agglomère sur la main gauche de Lars, la nimbant de ce même feu vert si inquiétant. Jan, d’un large arc de cercle du bras, entaille alors le poignet de leur ennemi pour le forcer à lâcher sa branche. Lorsque celle-ci touche terre, les flammes qui y dansaient se répandent sur le sol en un troubillon qui grandit, semblant prendre une forme tangible, moins éthérée. C’est là le début d’un incendie possédant pour ainsi dire sa propre conscience, d’une certaine manière, et Irena le ressent d’autant plus que le feu est en train de prendre dans le triangle invisible tracé par l’Hermétiste, là où elle va bientôt déchaîner sa propre magye. Quoi qu’il een soit, Lars se retourne vers Helga pour essayer de la frapper une fois encore à la mâchoire. “Imagine la souffrance qui est la mienne, à cause de ton mari! Si seulement il avait accepté notre offre!” La Verbena esquive de justesse le coup, gardant un oeil inquiet sur les flammes qui se répandent de plus en plus vite, comme si elles parvenaient à se nourrir de l’humidité même de l’herbe. Dans un effort pour comprendre et pour gagner du temps, elle demande à Lars d’expliciter ce qu’il a en tête, mais il refuse de lui dire ce qui s’est passé.

A cet instant précis, le regard d’Irena croise celui de Helga, et d’un geste discret de la main, la Fortunae lui désigne les trois arbres, puis Lars, avant de lui faire signe d’attirer le vampire au centre du triangle ainsi formé. Fort heureusement, Lars ne remarque pas son manège, trop occupé qu’il est par Jan qui vient de lui planter son couteau dans l’épaule — et si le jeune Magistère ne semble pas plus affecté que cela par cette énième blessure, l’Akashite, lui, lâche dans un réflexe son arme, traversé par une vague de froid. Lars semble décidément accumuler de plus en plus d’énergie entropique, et ces étranges boules de feu vert qu’il manie sont visiblement à la base de ce phénomène. Mais en est-il réellement le maître? Alors qu’il revient vers Helga, brandissant son poing dans sa direction, il paraît faiblir quelque peu, et ne cesse de marmonner quelque chose d’incompréhensible. Il ne remarque pas que la jeune femme, dansant entre les arbres comme dans une pitoyable tentative de lui échapper, est de fait en trainde l’attirer (sans toutefois y pénétrer elle-même) dans le triangle entropique créé par Irena…

Au moment même où Lars pénètre dans la zone, Irena, d’un geste rapide, trace la dernière partie de la dernière rune sur le troisième arbre, complétant ainsi son rituel en y concentrant l’Entropie ambiante. L’enchantement opère immédiatement; désormais, le vampire qui en est prisonnier est condamné à voir tous ses faits et gestes tourner pour le plus mal… pour lui, bien entendu. Le vortex entropique centré sur Lars diminue peu à peu, comme s’il divisait ses vagues d’énergie vers les trois séries de symboles. Lars semble hésiter, surpris, ne comprenant pas ce qui se passe. Helga en profite pour récupérer une nouvelle branche qu’elle solidifie de la même manière que la première. Elle n’a pas le temps de s’adresser à son adversaire pour lui demander à nouveau de lui expliquer les tenants et les aboutissants de l’histoire: Jan vient de vider le chargeur de son pistolet sur le vampire, qui titube, fixe un instant l’Akashite, puis à nouveau la Verbena. Quant au feu vert, il continue de se propager, et commence à prendre une forme étrange, comme un motif qui se tracerait progressivement sur le sol. Ceci n’échappe ni à Jan, ni à Irena. Cette dernière fait signe à l’Akashite d’aller prêter main-forte à Helga, tandis qu’elle-même tente de prendre le contrôle des flammes, puisqu’elles relèvent après tout en partie des énergies qu’elle sait le mieux contrôler.

L’Etoile Conquérante

Lars et Helga continuent de lutter. Profitant d’un moment où il baissé sa garde, ainsi que de l’avantage non négligeable que lui procure le sortilège d’Irena, la Verbena vise le coeur. Son nouvel épieu se brise en deux sous le choc, mais le coup a porté, et c’est en vain que Lars lève la main pour aggripper le bois et tenter de le retirer de sa poitrine. Dans un sifflement, les symboles gravés sur les troncs flamboient brièvement avant de laisser s’échapper l’énergie qu’ils contenaient. Le piège achève de se refermer pour de bon; les flammes dans la paume de Lars triplent en intensité, et il en perd pour de bon le contrôle, se corps s’embrasant sous l’effet de sa propre sorcellerie. Presque entièrement paralysé, le vampire met un genou en terre, mais parvient encore à relever la tête vers Helga, et à lancer vers elle un dernière minuscule boule d’énergie verdâtre. Helga s’écarte d’un pas, et la flamme finit par s’éteindre dans un crépitement et dans une bouffée de vapeur méphitique. Lars pousse un ultime soupir, s’effondrant au sol, ses chairs déjà mortes achevant de se consumer.

Dès l’instant où il touche terre, les flammes invoquées par sa volonté diminuent peu à peu, sous l’effet de sa mort ultime qui approche à grands pas et des forces entropiques déployées par Irena pour calmer l’incendie naissant. Lars bouge encore, mais il est désormais incapable de se relever. Lorsqu’il voit Jan venir vers lui pour finir le travail, il a un sourire amer. “Enfin… Je comprends…” murmure-t-il dans une quinte de toux. “Je peux enfin disparaître l’esprit tranquille… je la vois!” Que regarde-t-il ainsi? Quelque chose qui se trouverait derrière Jan? Mais l’Akashite ne voit rien, lorsqu’il se retourne…

“Dans mes derniers instants, je retrouve la foi… La lumière de l’Etoile Conquérante m’accueille!” s’exclame Lars, tendant vers le ciel une main tremblante, dans un ultime effort. Et sur ces énigmatiques paroles, ses yeux se voilent, et toute vie cesse de l’animer.