Helga Melvany
Par l’intermédiaire du curé de son village natal, des plus navrés de cet événement, elle trouva refuge chez une vieille femme, percluse de rhumatismes, vivant dans une masure, à l’écart d’un village encore plus reculé que Dunakiliti. C’était une petite maison de bois, au toit de chaume, quelques poules cancanaient dans un clos aux mailles serrées, une modeste mare, sans doute réserve à poissons, et dans la maison on entendait meugler de temps en temps une petite vache, qu’il faudrait bientôt faire mettre bas. La vieille, appelée Margrit avait perdu son conjoint, Rudolf le charbonnier, dix ans auparavant, d’une crise cardiaque, et depuis qu’elle vivait seule, allait régulièrement à la messe, se confessait à chaque Pâque… A l’annonce de l’arrivée d’Helga, les habitants dépêchèrent le curé paroissial, qui fut reçu avec une ostensible piété. La vieille ajouta qu’elle priait tous les jours et demandait à Notre Dame et à Monseigneur saint Jean de protéger son âme et celle de son époux défunt, et qu’elle ne craignait pas le diable. Helga prit une moue extrêmement boudeuse, le curé parut satisfait et le village fut rassuré.
La vieille se rendait effectivement à la messe tous les jours, et avait demandé à Helga de l’accompagner. La jeune fille se rendit compte que son ancien curé, plus soucieux de botanique que de catéchisme ne lui avait enseigné que les rudiments, et que ses parents, peu concernés par la religion ne l’avaient menée à la messe qu’à Noël et à Pâques. N’empêche que toute cette avalanche de paroles ” repends-toi”, “souffre dans ce monde pour obtenir le paradis”, “tourne entièrement ton esprit vers le Seigneur” l’exaspérait au plus haut point. Elle s’en ouvrit un soir à la vieille, lui demandant pourquoi il lui fallait encore souffrir, pourquoi il fallait tourner son regard vers le ciel alors que la vie et l’esprit était sur terre. Elle s’attendait à se faire battre, ou du moins à des cris. Margrit sourit malicieusement dans ses rides et alla d’elle même, sans difficultés, chercher une assiette de pâtes de fruits et une bouteille de vin de sureau. Helga, surprise par cette attention se mit à sangloter bruyamment, la tête sur les genoux de la vieille. Celle-ci lui chuchota à l’oreille ” Nul besoin de suivre la folie des hommes, contente-toi simplement de la singer, pour avoir la paix. Dès demain, je te montrerai ce que nous, Verbena, nous faisons de notre vie.”